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Transcription de l’intervention de Phil Hansen :

0:11 Pendant mes études d’art, ma main droite s’est mise à trembler, et voici la ligne la plus droite dont j’étais capable. Maintenant avec le recul, c’était bien pratique pour certaines choses par exemple mélanger un pot de peinture ou secouer un Polaroid, mais à l’époque c’était une catastrophe. C’était la fin de mon rêve de devenir artiste.

0:30 Le tremblement était en fait le résultat de mon entêtement à utiliser la technique pointilliste, des années à faire des petits points minuscules. Et à la longue, ces points qui, au départ, étaient parfaitement ronds ont commencé à ressembler à des têtards, à cause du tremblement Donc pour compenser, je serrais le stylo de plus en plus fort, ce qui a progressivement aggravé le tremblement, et donc je serrais mon stylo encore plus fort. Et c’est devenu un cercle vicieux qui a fini par causer tant de douleurs et de problèmes d’articulation que j’avais du mal à tenir quoi que ce soit. Après avoir passé toute ma vie à vouloir faire de l’art, j’ai quitté l’académie, puis j’ai complètement abandonné l’art.

1:06 Mais après quelques années, je ne pouvais pas en rester éloigné ; j’ai donc décidé d’aller voir un neurologue pour mon tremblement, et j’ai découvert que j’avais des lésions nerveuses permanentes. Il a regardé ma ligne en zigzag et a dit : « Eh bien, pourquoi ne pas simplement accepter votre tremblement ? »

1:19 C’est ce que j’ai fait. Je suis rentré chez moi, j’ai attrapé un crayon, et j’ai laissé ma main s’agiter et trembloter. Je dessinais tous ces gribouillis. Et même si ce n’était pas le type de dessin qui me passionnait vraiment, c’était très bien quand même. Et surtout, une fois que j’eus accepté mon tremblement, j’ai réalisé que je pouvais encore faire de l’art. Il fallait simplement que je trouve une approche différente pour produire les œuvres que je voulais.

1:40 Certes, j’aimais toujours le caractère fragmentaire du pointillisme, voir tous ces petits points minuscules se réunir pour former un tout unifié. Alors j’ai essayé d’autres façons de fragmenter les images où mon tremblement n’affecterait pas la composition, par exemple tremper mes pieds dans la peinture et marcher sur une toile, ou encore créer, sur une structure tridimensionnelle faite de poutres, une image en deux dimensions à l’aide d’un chalumeau. J’ai découvert que si je travaillais à une plus grande échelle avec des matériaux plus grands, ma main ne me faisait pas mal et après être parti d’une approche unique de l’art, j’ai fini par adopter une approche de la créativité qui a complètement changé mes horizons artistiques. C’était la première fois que l’idée m’est venue qu’assumer un handicap pouvait en fait stimuler la créativité.

2:28 À l’époque, je finissais mes études, et je me réjouissais d’avoir un vrai travail et d’avoir enfin les moyens d’acheter de nouvelles fournitures. J’avais cet affreux petit jeu d’outils, et je pensais que je pourrais faire bien plus avec les fournitures qu’à mon sens un artiste était censé avoir. En fait, je n’avais même pas une paire de ciseaux ordinaires. J’utilisais une cisaille à métaux jusqu’à ce que j’en vole une paire au bureau où je travaillais.

2:50 Donc, j’ai fini mes études, j’ai obtenu un emploi, j’ai reçu mon salaire, je suis allé au magasin de fournitures pour artistes et j’ai acheté comme un dingue. Puis, quand je suis rentré, je me suis assis et je me suis mis au travail pour essayer de créer quelque chose de vraiment innovant. Mais je suis resté assis là pendant des heures, et rien ne m’est venu à l’esprit. Pareil le lendemain et le surlendemain, si bien que je sombrais rapidement dans un marasme créatif. J’ai été déprimé pendant longtemps, incapable de créer. Cela n’avait aucun sens, parce que j’avais enfin les moyens de me consacrer à mon art, mais j’étais vide de créativité.

3:27 Mais, pendant que je cherchais dans le noir, je me suis rendu compte que j’étais en fait paralysé par tous ces choix, que je n’avais jamais eus jusque-là. C’est alors que j’ai repensé à mes mains tremblotantes. Assume ta tremblote. J’ai compris que, si je voulais regagner ma créativité, il fallait que j’arrête de vouloir innover à tout prix et que je me remette au travail.

3:50 Je me suis demandé si on pouvait trouver l’inspiration en se créant des handicaps ? Et si je n’avais qu’un dollar de fournitures pour travailler ? À cette époque, je passais beaucoup de soirées à — enfin, je passe toujours beaucoup de soirées chez Starbucks — mais je savais qu’on pouvait avoir un gobelet supplémentaire si on voulait. J’ai donc décidé d’en demander 50. A ma surprise, ils me les ont donnés tout de suite, puis, avec quelques crayons que j’avais, j’ai réalisé ce travail pour seulement 80 cents. Ç’a été pour moi un vrai moment d’illumination : il nous faut d’abord nous imposer des limites pour ne plus en connaître.

4:27 J’ai donc appliqué cette démarche restrictive à la toile. Que se passerait-il si, au lieu de peindre sur une toile, je pouvais peindre seulement sur ma poitrine ? J’ai donc peint 30 images, en couches superposées, chaque image représentant une influence dans ma vie. Autre exemple : et si, au lieu de peindre avec un pinceau, je ne pouvais me servir que du tranchant de la main, comme au karaté ? (Rires) J’ai donc trempé mes mains dans la peinture et j’ai attaqué la toile. J’ai effectivement frappé si fort que je me suis blessé à l’articulation du petit doigt qui est resté rigide pendant quelques semaines.

4:56 (Rires) (Applaudissements)

5:00 Et si, au lieu de compter sur moi-même, je devais compter sur autrui pour créer le contenu de mon travail ? J’ai donc vécu six jours devant une webcam. J’ai dormi sur le sol, j’ai mangé des repas à emporter, j’ai demandé aux gens de m’appeler et de partager avec moi une histoire concernant un moment qui a changé leur vie. Leurs histoires sont devenues création artistique pendant que je les écrivais sur une toile en rotation.

5:25 (Applaudissements) Et si, au lieu d’exposer mes tableaux, je devais les détruire ? Cela me semblait être le comble du handicap, être un artiste sans art. Cette idée de destruction est devenue un projet d’une année que j’ai appelé « Goodbye Art », et au cours duquel chaque composition devait être détruite après sa création. Au début de « Goodbye Art », je me suis concentré sur la destruction forcée, comme cette image de Jimi Hendrix, composée de plus de 7000 allumettes. (Rires) Puis, j’ai étendu ça à des œuvres qui se détruisaient naturellement. J’ai cherché des matériaux temporaires, tels que des aliments mâchés — (Rires) — la craie de trottoir et même du vin surgelé.

6:17 Le dernier type de destruction a été d’essayer de produire quelque chose qui en fait n’existait pas au départ. J’ai donc mis des bougies sur une table, je les ai allumées puis soufflées, et j’ai répété ce processus plusieurs fois de suite avec les mêmes bougies pour ensuite assembler les vidéos en une image plus grande. De telle façon que l’image finale ne soit jamais visible en un ensemble physique. Elle était détruite avant d’avoir jamais existé.

6:43 Dans le cadre de cette série « Goodbye Art », j’ai créé 23 pièces distinctes qui n’ont rien laissé de concret à exposer. Ce que je pensais être le comble de la limitation s’est avéré être l’ultime libération, puisque pour chaque création, sa destruction me ramenait en un point neutre où je me sentais revigoré et prêt à entamer le projet suivant. Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Parfois, mes projets n’arrivaient pas à décoller, ou, pire encore, je passais des masses de temps sur une idée, et l’image finale était décevante. Mais, comme je m’étais engagé dans le processus, j’ai continué,

7:18 et il en est ressorti quelque chose d’étonnant. En détruisant chaque composition, j’ai appris à lâcher prise, à laisser passer les produits finis, à laisser passer les échecs et à laisser passer les imperfections. En retour, j’ai trouvé un processus de création qui est perpétuel et non soumis au résultat final. Je me suis retrouvé dans un état de création constante, la tête pleine de mes prochains projets et d’idées plus nombreuses que jamais.

7:45 Quand je repense à mes trois années sans création artistique, loin de mes rêves, à subsister au lieu d’essayer de trouver une autre façon de poursuivre mes rêves, j’avais renoncé, abandonné. Et si je n’avais pas accepté mon tremblement ? Car cette décision n’était pas liée seulement à l’art et à mes compétences en tant qu’artiste. Il s’est avéré qu’elle était liée à la vie et à mes compétences en tant qu’humain. Parce qu’en fin de compte, la plupart de nos actions sont routinières, avec des ressources limitées. Apprendre à être créatif à l’intérieur de nos limites est notre meilleur espoir de nous transformer et, collectivement, de transformer notre monde.

8:30 Considérer mes limites comme une source de créativité a changé le cours de ma vie. Maintenant, quand je rencontre un obstacle ou quand je me retrouve à court d’inspiration, j’ai encore du mal parfois, mais je persiste dans le processus de création et essaie de me rappeler les possibilités, par exemple utiliser des centaines de vers pour créer une image, utiliser une punaise pour tatouer une banane, ou peindre un tableau avec de la graisse d’hamburger.

9:04 (Rires)

9:06 Je me suis mis récemment à essayer d’appliquer les habitudes de créativité que j’ai apprises à des travaux que d’autres peuvent reproduire.

9:14 La restriction semble être un milieu peu propice pour cultiver la créativité, mais peut-être le meilleur moyen de nous sortir de l’impasse, de repenser les critères et de défier les normes acceptées. Au lieu de se répéter qu’il faut profiter du jour peut-être pouvons-nous penser tous les jours à profiter de nos limites.

9:39 Merci.

9:40 (Applaudissements)

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